Le journaliste et animateur Philippe Gildas est mort
Connu du grand public pour avoir animé l’émission culte de Canal+ « Nulle part ailleurs », Philippe Gildas est mort dans la nuit de samedi à dimanche à l’âge de 82 ans.
On ne le retrouve guère, sur le Net, qu’en Monsieur Loyal dans l’émission de Canal+ « Nulle part ailleurs », submergé par des fous rires à l’écoute de la bande des Nuls ou de son délirant comparse Antoine de Caunes. Un complice qui n’aura eu de cesse de le moquer pour sa petite taille et ses supposées talonnettes, ses grandes oreilles ou ses brushings façon « moumoute ». Mais au regard des décennies pendant lesquelles il a officié tant à la radio qu’à la télévision, le parcours professionnel de Philippe Gildas illustre surtout la mutation qu’ont connue les médias au cours des cinquante dernières années ainsi que les relations étroites et mouvantes entre le politique et l’audiovisuel, tant public que privé. Philippe Gildas est mort à Paris dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 octobre à l’âge de 82 ans, a fait savoir Antoine de Caunes. Il souffrait d’un cancer.
Enorme bosseur, pointilleux jusqu’à l’obsession, malin tendance débrouillard, le verbe sobre mais capable de rognes telluriques aussitôt oubliées, l’allure décontractée – jamais de cravate –, Philippe Gildas, qui ne se prenait jamais au sérieux, se sera vu confier la rédaction des trois plus importantes stations de radio, RTL, Inter et Europe 1, aura présenté le journal télévisé au temps de l’ORTF d’après Mai-68, avant de devenir une figure emblématique de la première chaîne privée à péage du paysage audiovisuel français, Canal+. Et pourtant « je n’ai jamais eu de plan de carrière, assurait-il au Monde en 2008. Mon parcours est un condensé de contradictions mais je n’ai ni remords ni regrets. Le hasard m’a porté à chaque fois au bon croisement. » Une antienne reprise dans sa biographie, coécrite avec Gilles Verlant, Comment réussir à la télévision quand on est petit, breton, avec de grandes oreilles ? (Flammarion, 2010).
Débuts à la radio
Si ce jeune Breton, né le 12 novembre 1935 à Auray (Morbihan), choisit, sans le sou, de s’ancrer à Paris au sortir du Centre de formation des journalistes (CFJ), c’est qu’il est déjà marié et père du premier de ses trois fils, né en 1960 et prénommé Gildas. Il entre tout d’abord au journal Combat, où il devient rapidement chef des informations générales. Mais il est rattrapé par ses obligations militaires : de la classe 61, il risque de devoir partir en Algérie, pour une guerre contre laquelle il a milité, à la Sorbonne, pendant ses études de lettres classiques. Il atterrit finalement au service d’information des armées à Paris.
Il n’en a pas encore fini avec ses vingt et un mois de service militaire qu’une rencontre avec son plus proche camarade au CFJ l’amène à être recruté pour une nouvelle tranche matinale qu’entend créer Radio Luxembourg, future RTL, alors en pleine mutation. Il entre pour la première fois dans une radio sous son vrai nom, Philippe Leprêtre, le 24 décembre 1962 à minuit, et, poussé vers le micro, lit son premier bulletin d’information le 1er janvier 1963, celui de 6 heures, sous le pseudonyme de Philippe Gildas : le titulaire avait trop bien fêté la Saint-Sylvestre et lui, toujours sous les drapeaux, a ajouté le prénom de son fils au sien pour échapper à toute sanction.
Rapidement repéré pour sa rigueur et ses capacités à diriger des équipes – il est l’aîné de sept frères, a été un cadre scout et milité à l’UNEF à la Sorbonne –, il prend la direction de l’information de Radio Luxembourg deux ans seulement après son arrivée. « Je suis un bon OS, un ouvrier spécialisé dans l’information, estime-t-il dans sa biographie. (…) Je n’ai rien d’un génie de l’info. Je ne la conceptualise pas, je ne m’intéresse pas aux idées qui sont derrière, seule la façon de communiquer me préoccupe. Avec à la clé cette question essentielle : comment arriver à la justesse de l’info ? »
Présentation du JT
Après de belles années à RTL, les dissensions au sein de la rédaction, nées en Mai 68 et restées vives, amènent Gildas à présenter sa démission. Il intègre en 1969 l’ORTF, en pleine mutation post-événements, au sein de la nouvelle unité d’information que dirige Pierre Desgraupes. Il y présente notamment le JT, « Information première », en alternance avec Etienne Mougeotte. Sans prompteur, sans cravate et avec des cheveux longs pour cacher ses oreilles.
Le « cadeau » le plus durable qu’il estime avoir laissé à la télévision ? La météo ! De par son passage à RTL, Gildas a retenu une vérité première : à chaque heure, l’info météo est celle que le public attend en priorité. Aussi, son leitmotiv étant « Tout est info », il fera de la météo un rendez-vous incarné à l’intérieur même du JT. Il ne s’agit pas encore avec d’une « miss météo », mais ça viendra…
Le 5 juillet 1972, le premier ministre de Georges Pompidou, Jacques Chaban-Delmas, tenant d’une libéralisation de l’information, démissionne. Pierre Desgraupes est remercié ; solidaire, Philippe Gildas quitte l’ORTF. Il passe une saison à France Inter (1973-1974), mais c’est dans la station concurrente qu’il va rebondir. Sous la nouvelle présidence de Valéry Giscard d’Estaing, l’Etat, actionnaire d’Europe n° 1, remercie les deux patrons historiques de la station. Jean-Luc Lagardère, homme de confiance de Sylvain Floirat, le patron de Matra et propriétaire de la radio, prend la tête de la station. Gildas est appelé à la rédaction en chef de la matinale, qu’il intègre en décembre 1974. Il peut alors donner vie à sa marotte, une matinale en continu – au-delà des seules sessions d’information habituelles –, qu’il lance en 1976. Il est au micro de 6 h 30 à 9 heures, avec, à ses côtés, Maryse, l’animatrice vedette de la station, qu’il épousera en 1984.
Dans cette matinale d’Europe n° 1, Gildas mêle déjà information et animation. L’austère homme-tronc qu’il fut pour le JT de l’ORTF apprend la décontraction, le rire à l’antenne, les changements de rôle et de ton. Ce mélange des genres, Gildas le résume d’une formule à laquelle il tient : « Info + spectacle n’est pas de l’info-spectacle ». Il animera d’ailleurs pendant deux saisons le jeu télévisé La Tête et les jambes, puis La Chasse au trésor, tous deux pour l’A2. Tout en continuant d’assurer la matinale d’Europe, dont les audiences grimpent.
Le vaisseau Canal+
L’arrivée de la gauche au pouvoir, en mai 1981, rebat une fois de plus les cartes dans l’audiovisuel. Le directeur d’Europe n°1, Etienne Mougeotte, démissionne – sa tête a été demandée, place de la Bastille, le soir du 10 mai –, Gildas fait de même par solidarité ; mais Mougeotte et Lagardère le convainquent de rester et de prendre la direction de l’antenne pour sauvegarder la rédaction. Pour autant, « Directeur, ça n’est pas mon métier », le micro lui manque. Il tient néanmoins la maison pendant cinq ans, jusqu’en 1986, en y restant comme simple animateur jusqu’en 1988… alors qu’il a déjà embarqué sur un nouveau vaisseau baptisé Canal+, en quête de territoires inexplorés.
Avant que la presse ne qualifie les dix premières années de Canal+ de « fabuleuse aventure audiovisuelle », avant que ses inventeurs ne s’acheminent vers la formule magique de son émission phare, en clair, que fut « Nulle part ailleurs », ses créateurs auront testé tout et n’importe quoi. A la conception, le patron Pierre Lescure – que Gildas avait recruté à sa sortie du CFJ du temps de Radio Luxembourg –, le directeur des programmes Alain de Greef, et Philippe Gildas. Tous trois partagent le même credo que « tout est news », et entendent lancer un talk-show à l’américaine : une émission basée sur l’actualité, qui marque les esprits moins pour ses invités que grâce à son animateur, et où se mêlent info et divertissement. Ce qui aboutit en 1985 à « Direct », une émission de 90 minutes, le midi, pour les ménagères et les lycéens en mal de curiosités, face aux très sérieux JT des concurrents.
Une horloge dans le ventre
Parrainée par Coluche, cette émission-laboratoire, qu’il présente en polo ou en chemise Lacoste, lui permet de défricher des sujets inédits voire incongrus et de lancer à la télévision nombre de jeunes qu’il a sous la main à Europe 1. En 1987, « Nulle part ailleurs » arrive à l’antenne en soirée. Sous couvert d’improvisation apparente, de rubriques farfelues et de délire parfois incontrôlé, l’émission s’avère en réalité une mécanique de précision : elle est séquencée en modules de quelques minutes, d’autant que Gildas a une horloge dans le ventre, tous en témoignent.
Au fil de ses dix ans d’animation, Philippe Gildas aura testé quelque 150 chroniqueurs , et l’équipe comptera, hors techniciens, pas moins de 50 à 80 personnes… « Ce qui est apparu comme un esprit était une cohérence. Tous les gens qui fabriquaient cette chaîne étaient au même endroit. (…) Tous appartenaient grosso modo à la même génération, possédaient les mêmes références. Une singularité par rapport aux autres chaînes, fabriquées par des producteurs extérieurs », résumait pour Le Monde en 2014 Arielle Saracco, arrivée à Canal en 1990.
Après une première année, en 1987, où l’aspect divertissement de « Nulle part ailleurs » est assuré par la bande des Nuls, Gildas recherche quelqu’un qui puisse les remplacer – le rythme quotidien ayant amené les Nuls à abandonner. « Ma grande découverte, c’est bien sûr Antoine de Caunes », note-t-il. Antoine de Caunes peut tout se permettre, tandis que Gildas contrebalance ce qui peut apparaître comme trash ou outrancier par sa bonhomie et sa sympathie pour les invités, incapable qu’il est d’apostropher quelqu’un à la façon d’un Ardisson, d’un Fogiel ou d’un Guillon. Grands complices – « son seul défaut est d’avoir des goûts de chiottes en musique : il adore Michel Sardou », commentait Antoine de Caunes au Monde en 2008 –, tous deux animeront d’ailleurs l’émission ensemble à partir de 1991.
Après le départ de De Caunes en 1995, Gildas continue mais la magie n’opère plus, faute d’un solide duo (« Je sais que j’ai vécu un miracle »). Après une dernière et piteuse saison 1996-1997 en compagnie de Baffie, Gildas cède son fauteuil à Guillaume Durand ; lequel commencera à accueillir des politiques, au contraire de Gildas qui l’interdisait – il ne votait jamais.
Opposé à la retraite – mais aussi à la mort, qu’il haïssait pour être « inhumaine » –, Philippe Gildas reste malgré tout dans le groupe jusqu’en janvier 2003. Il animera ou participera à des émissions sur Canal, Paris Première, Voyage, Europe 1, France 2, Comédie… Il « bricole », en « une semi-oisiveté ». Jusqu’à ce que l’idée de créer une chaîne pour les seniors le mobilise et le désespère à la fois : alors qu’il pensait la lancer dès 2003, Vivolta ne verra le jour qu’en 2007, seulement sur le câble et le satellite. Une chaîne d’art de vivre pour celles et ceux qui ont du temps et des moyens, qui s’éteindra en 2014 faute d’audience.
« Longtemps, je fus catholique et breton. (…) Je ne comprends pas pourquoi l’homme est mortel. J’ai du mal à me faire à l’idée qu’il n’y a rien après », note Philippe Gildas dans sa biographie, qu’il avait décidé de clore sur ces mots : « Maryse et moi avons décidé de nous faire incinérer. Et quand je passerai de l’autre côté des flammes, faites aussi l’économie de l’urne : répandez mes cendres au hasard, en vous amusant, comme je n’ai cessé de le faire ! »
Dates
12 novembre 1935 Naissance à Auray (Morbihan)
1963 Premier bulletin d’information sur Radio Luxembourg
1969 Entre à l’ORTF
1981-1982 Anime « La Chasse au trésor » sur Antenne 2
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